Matt Adams, avocat du Northwest Immigrant Rights Project, le 6 février à Seattle, dans l'État de Washington, où un juge a bloqué le texte visant à mettre fin au droit du sol pour les enfants nées aux États-Unis de parents immigrants sans papiers. © Jason Redmond / AFP

Nombre de décrets présidentiels ont été gelés ces derniers jours par des décisions de justice. Les prétoires sont devenus la nouvelle ligne de front de l’offensive trumpiste.

« La Constitution n’est pas un instrument avec lequel le gouvernement peut jouer à des jeux politiques. » Sévère, la sentence n’émane pas d’un responsable démocrate accusant Donald Trump de rudoyer le texte fondamental des États-Unis, mais d’un juge fédéral, nommé par Ronald Reagan qui plus est.

À Seattle, John C. Coughenour avait été saisi de la validité juridique du décret présidentiel visant à mettre fin au droit du sol pour les enfants nés sur le sol américain de parents immigrants sans papiers, en violation manifeste du 14e amendement. « Un tel changement ne peut se faire qu’en modifiant la Constitution, a rappelé le juge. C’est ainsi que fonctionne l’État de droit. »

Chaque jour qui passe apporte sa petite contrariété                                       Un rappel à l’ordre juridique qui ne constitue pas un cas isolé. Chaque jour qui passe apporte sa petite contrariété au locataire de la Maison-Blanche : vendredi 7 février, le juge Carl Nichols, nommé par Donald Trump lui-même, a émis une ordonnance restrictive temporaire pour mettre fin au congé administratif de 2 200 employés de l’Usaid (agence américaine pour le développement international) et au licenciement imminent de la quasi-totalité des travailleurs de l’agence postés à l’étranger.

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Le lendemain, le juge Paul A. Engelmayer, nommé par Barack Obama, a limité l’accès du programme d’efficacité gouvernementale (Doge) d’Elon Musk aux systèmes de paiement et de données du département du Trésor, affirmant que cela risquerait de causer un « préjudice irréparable ».

Maigre consolation, le juge John D. Bates, nommé par George W. Bush, a rejeté le week-end dernier la demande d’une coalition de syndicats visant à obtenir une ordonnance d’urgence empêchant l’équipe d’Elon Musk d’accéder aux données du ministère du Travail.

40 actions en justice                                                                                     Nombre d’autres décrets paraphés en rafale par le nouveau président dès son retour à la Maison-Blanche sont pour l’instant gelés par des décisions de justice : le transfert de détenues transgenres dans des prisons réservées aux hommes, le dévoilement de l’identité des membres du FBI qui ont enquêté sur l’assaut du Capitole le 6 janvier 2021, le plan visant à inciter les fonctionnaires fédéraux à accepter une « démission différée » afin de purger la fonction publique, ainsi que le gel de 3 000 milliards de dollars de dépenses intérieures. D’autres viendront sans doute, puisque pas moins de 40 actions en justice ont été déposées ces derniers jours par des procureurs généraux d’État, des syndicats ou des ONG.

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Bref, les prétoires apparaissent un peu plus comme des lieux centraux de la vie politique. Ils l’étaient déjà dans un pays de « common law », système juridique dont les règles sont principalement édictées par les tribunaux au fur et à mesure de décisions individuelles, où la jurisprudence constitue donc la principale source du droit. Alors que, contrairement à 2017, la « résistance » organisée de la société est presque inexistante, que le parti démocrate demeure groggy après son KO de novembre et que les républicains du Congrès sont au garde-à-vous, ils font surtout figure de ligne de front de l’offensive trumpiste.

Du côté de Donald Trump, ces défaites sont considérées comme passagères. L’objectif est double. À la façon d’un général de la Première Guerre mondiale lançant les soldats à l’assaut de la tranchée adverse, il sait que le taux de perte de ses décrets sera très élevé.

L’exécutif imperméable à la justice                                                                     Il espère que certains résisteront suffisamment à l’épreuve de la justice pour terminer sur le bureau des neuf juges (dont six conservateurs) de la Cour suprême. C’est ainsi qu’a procédé le mouvement conservateur sur la question du droit à l’avortement : en 2022, la plus haute instance judiciaire du pays a estimé, à rebours de la décision prise en 1973, Roe v. Wade, que ce droit n’était pas constitutionnel.

Il s’agit ensuite d’élargir le plus possible le champ d’intervention de l’exécutif, pièce centrale du volumineux projet 2025 de la Fondation Heritage, think tank ultraconservateur. C’est le sens d’un long post publié dimanche par J. D. Vance sur X. « Les juges ne sont pas autorisés à contrôler le pouvoir légitime de l’exécutif », y écrit le vice-président.

Cette idée « ouvre la porte à une voie potentiellement dangereuse », selon Quinta Jurecic, membre de la Brookings Institution et rédactrice en chef de la revue Lawfare, citée par le New York Times. La formulation de J. D. Vance suggère que l’exécutif est imperméable à toute décision de justice et que, par définition, son action serait sans contre-pouvoirs. « À ce moment-là, conclut Quinta Jurecic, la Constitution s’effondre. » l’Humanité

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