Dans cette ville de taille moyenne, les rues sont désertes. Il règne une ambiance froide de terreur. Des groupes de combattants hostile occupent un quartier stratégique depuis quelques heures. Un ronronnement aigu se fait entendre dans le ciel. C’est un drone. Du haut du toit d’un immeuble d’habitation, on entend le crépitement des armes automatiques qui tentent de l’abattre. Trop tard ! Quelques secondes après, un hélicoptère de combat Tigre fend l’air et arrive bruyamment. Les positions des combattants dissimulés dans le quartier et repérés par le drone sont confirmées par l’équipage du Tigre. D’épais fumigènes inondent les rues.…
Jaguar, Serval, avec leurs noms évocateurs de félins, ces blindés armés roulent à vive allure dans les rues. Plus mythologique dans l’appellation, des transports de troupes Griffon se ruent également aux pieds d’immeubles situés en face de ceux où sont retranchés les combattants ennemis. Des soldats jaillissent des Griffons pour pénétrer dans les bâtiments et se positionner.
Des soldats connectés Toujours dans le lexique des animaux du continent africain, ce sont des soldats Félin (Fantassin à équipement et liaisons intégrés) qui pointent l’ennemi. Leur particularité : ils portent un gilet bourré d’accessoires électroniques. Grâce à cet équipement, ils sont tous connectés à un réseau informatique. Avec ce barda, ils peuvent renforcer leur protection individuelle et leur capacité de combat de jour et de nuit.
Ainsi, chaque combattant est doté d’un écran lui permettant de connaître sa position et celle de son groupe. Les soldats s’organisent et communiquent avec un ostéophone, un système qui capte la voix via la résonance des os et peut retransmettre les sons par le même procédé. Pratique pour continuer à « parler » et « entendre » au milieu des coups de feu. Sur le fusil d’assaut HK-416 ou le Famas, des boutons tombent sous les doigts pour utiliser la radio et surtout de réaliser des tirs déportés. Autrement dit, le combattant peut rester abrité et régler un tir sans se mettre en danger grâce à une lunette de visée spéciale qui retransmet les images de la cible sur un écran. Cette lunette est aussi dotée d’options infrarouges, ou de vision de nuit.
Combat à haut débit Toutes les données collectées par les uns et les autres sont transmises en temps réel aux véhicules blindés, aux drones et autres aéronefs et surtout au PC mobile qui se trouve en retrait. Dans celui-ci le commandement est équipé au système d’information SICS. Les officiers disposent de tablettes tactiques affichant la cartographie incrémentée par les obstacles détectés par les véhicules et les infos des satellites et des drones. En temps réel, elles affichent aussi la position des hommes, des engins et également celle des ennemis.
Avec ce procédé les informations collectées par l’équipement d’un simple fantassin permet de guider instantanément un tir d’artillerie ou d’aéronef. Et justement ! Ayant identifié la menace d’un char, le commandant de l’opération décide d’envoyer un Leclerc XLR. Le char modernisé jaillit dans une rue et effectue un tir tendu en freinant brutalement. Le blindé ennemi est immédiatement neutralisé.
Les troupes françaises évoluent très rapidement d’un bâtiment à l’autre. Pour le PC de commandement, la rapidité du combat est l’objectif. Il n’y a rien de pire que l’enlisement. Les soldats se fatiguent vite et les risques augmentent avec le temps. Grace à ce système de combat collaboratif « infovalorisé », dans le jargon militaire, au bout d’une petite heure l’ennemi est battu et les survivants ont fui. Côté français, un seul combattant a été blessé grâce à l’équipement Félin et la connectivité Scorpion.
Le SICS est le système d’information intégré à Scorpion. Il permet au commandement d’avoir une vue globale de la situation sur carte pour faciliter ses décisions tactiques.© EMA
Combat collaboratif « infovalorisé » Ce combat, c’est l’avenir imaginé par l’armée française depuis 2010 avec le programme Scorpion et cela fait des années qu’il est en cours de déploiement auprès de l’armée de Terre. Il a même été employé en opération au Mali en 2021 avec l’emploi de Griffon, du système d’information SICS et les nouvelles liaisons radio CONTACT.
Pour le soldat, depuis leur conception initiale, les équipements Félin ont régulièrement été mis à jour et même utilisés en mission de combat. Côté véhicules, KNDS (Nexter), Thales et Arquus se sont regroupés pour livrer régulièrement les nouveaux blindés Jaguar et Griffon propres à ce programme Scorpion.
Ce dernier remplace les vieux VAB de transport de troupes. Rapide, il peut emporter 8 combattants, auxquels s’ajoutent un pilote et le tireur du tourelleau de 12,7 mm téléopérée. Il peut aussi manœuvrer une mitrailleuse de 7,62 ou un lance-grenades. L’engin est modulaire. Il peut servir de PC de commandement, avec des équipements de communication sur très longue distance. Depuis 2019, 1872 Griffon ont été livrés.
Développé depuis 2014, le Jaguar est livré depuis 2022 à l’armée de Terre. Il remplace l’AMX-10 RC que l’on trouve désormais en Ukraine aux mains des forces ukrainiennes. Il s’agit d’un char léger à roues d’une vingtaine de tonnes doté d’un canon à tir rapide de 40 mm. Il est également équipé de quatre missiles antichars et d’une mitrailleuse 7,62 ainsi que des tubes lanceurs de leurres ou de munitions. L’objectif de ce char est la reconnaissance et le combat. Il doit donc être rapide, et c’est le cas.
Présentation du blindé léger de reconnaissance et de combat Jaguar. L’engin est l’une des composantes du système de combat collaboratif Scorpion.© Armée de Terre
De son côté, le Serval est un véritable couteau-suisse. Conçu par Nexter et Texelis, il est modulaire et fait vaguement penser au fameux Humwee américain avec ses quatre roues motrices. Il est également conçu pour remplacer le VAB. Il peut aussi servir de véhicule de commandement mobile, et pour l’évacuation sanitaire. Opérationnel depuis 2022, comme les autres véhicules, il est également en cours de livraison. L’armée devrait en disposer de près de 980 à terme.
L’avenir c’était hier ? Le programme Scorpion est donc aujourd’hui une réalité et intègre deux divisions (1ère et 3ème). Elles constituent la Force Scorpion. A l’horizon 2027, celle-ci devrait permettre de projeter sous 30 jours une division de 27 000 hommes avec 7000 véhicules.
Mais il y a un hic,…, les composantes de cette force ont été mises au point bien avant le conflit ukrainien. C’est notamment le cas des nouveaux véhicules. Leur configuration n’est pas forcément adaptée à la guerre de haute intensité, mais plutôt aux missions de lutte contre la guérilla avec des opérations comme Barkhane ou Serval. Le Jaguar, par exemple, semble difficilement compatible avec le combat moderne urbain dans des villes de type européennes et dotées de hauts immeubles. Le débattement de son canon n’est pas suffisamment important pour atteindre des cibles hautes dans des rues étroites.
Par ailleurs, le principe même d’un blindé léger rapide, questionne dans un usage du type du conflit ukrainien. Les combats en cours montrent que les terrains sont truffés de mines et que le déplacement dans les villes ravagées est plutôt lent.
Mais, ce n’est pas la première fois que la réalité du terrain apporte des évolutions au programme Scorpion. C’est pourquoi celui-ci est régulièrement mis à jour. En revanche, le choix de véhicules tels le Jaguar risque de perdurer et reste difficile à transformer radicalement.
Quoiqu’il en soit, à partir de 2040, le programme Scorpion laissera place à TITAN. Dans le même esprit, il permettra d’étendre le combat collaboratif au niveau de toutes les armées et des alliés. Avec lui, exit le char Leclerc. Il sera remplacé par le char du futur MGCS.
Au final, même s’il se base sur des guerres passées, le principe du combat collaboratif reste résolument l’avenir, le tout est de savoir comment l’adapter aux futurs conflits.