Mohamed Ameur, Ambassadeur du Maroc en Belgique

Fin 2022, le Qatargate secoue le Parlement européen. L’enquête judiciaire fait apparaître des indices et des témoignages sur le rôle joué par un autre État : le Maroc. En marge de cette affaire, pendant huit mois, la cellule #Investigation de la RTBF a enquêté sur les pratiques de la diplomatie marocaine en Belgique. Notamment sur le rôle joué par l’ambassadeur du Maroc, Mohamed Ameur.

Les visites de « courtoisie » de l’ambassadeur
En 2018 et 2019, l’avocat Alexis Deswaef, ancien président de la ligue des droits humains « découvre » la diplomatie marocaine. À chaque fois, c’est une prise position sur le dossier du Sahara occidental qui provoque une réaction immédiate de l’ambassadeur. « J’ai reçu ce qu’il appelle une demande de visite de courtoisie. L’ambassadeur est venu dans mon cabinet, accompagné d’un conseiller. Ils m’ont fait une leçon sur la réalité du Sahara occidental et ont réécrit toute l’histoire de cette région. Ils m’ont expliqué comment je devais voir les choses. Il était poli, mais très ferme, très donneur de leçon. C’était une forme de pression ».

Copie du mail de la « demande de visite de courtoisie » de Mohamed Ameur, à Alexis Deswaef.

Le Sahara occidental, c’est un dossier majeur pour l’État marocain. Cette ancienne colonie espagnole est contrôlée en majeure partie par le Maroc, mais revendiquée par les indépendantistes sahraouis du Front Polisario, soutenus par l’Algérie. Défendre la vision du Royaume de Mohammed VI à l’étranger, c’est l’objectif prioritaire de la diplomatie marocaine : « À l’étranger, les services de renseignements marocains et les diplomates se concentrent quasi exclusivement sur le dossier du Sahara occidental « , analyse Ignacio Cembrero, ancien correspondant du journal El País au Maghreb.

Les « visites de courtoisie » de l’ambassadeur marocain chez Alexis Deswaef feraient donc partie de cette stratégie marocaine. L’avocat spécialiste des droits de l’homme se montre très critique vis-à-vis de ces méthodes. « Le Maroc a des petits soldats à l’œuvre dans nos pays. Les ambassades doivent relayer la machine de propagande très efficace de la diplomatie marocaine. S’ils l’ont fait avec moi, j’imagine que d’autres ont connu le même sort. Tout cela fait partie d’une diplomatie de pression ».

Menaces envers un mandataire politique
Des accusations qui soulèvent de nombreuses questions sur les agissements de Mohamed Ameur, en Belgique. À plusieurs reprises, nous avons sollicité une interview de l’ambassadeur qui a refusé de nous répondre. Fin novembre, soit six mois après notre première demande et quelques jours avant la diffusion de l’enquête, son avocat a pris contact avec #Investigation. Lors de son interview, nous lui avons montré le témoignage d’Alexis Deswaef. « Me Deswaef défend les intérêts de son client, le Front Polisario, affirme Stanislas Eskenazi. Et je ne pense pas qu’il soit une personne facilement impressionnable ». Pourtant, Alexis Deswaef affirme n’avoir jamais représenté le Front Polisario.

Nous avons récolté des témoignages similaires auprès de professeurs d’université et de chercheurs dans le monde associatif. Ils ne défendent aucun parti, pays ou intérêt particulier. Mais leur travail ou leur analyse sur le dossier du Sahara occidental a provoqué une réaction de Mohamed Ameur. Pour éviter des représailles, ils ont souhaité conserver l’anonymat. C’est le cas de ce professeur dans une importante université belge :

J’ai été invité à l’ambassade. Je n’avais jamais connu ça avant. Les réactions sur le Sahara occidental sont très virulentes et interventionnistes
Ou de ce chercheur dans le milieu associatif :

J’ai été invité à l’ambassade. L’ambassadeur m’a rappelé l’histoire de la marocanité du Sahara occidental. C’était clairement une manière de m’intimider. En parler publiquement pourrait m’empêcher de voyager au Maroc, dans le cadre de mon travail.

Me Eskenazi, représentant l’ambassade du Maroc, réagit. « Je ne vois pas en quoi c’est intimidant. L’ambassadeur n’a aucun pouvoir de pression sur ces gens ».

Il m’a menacé de manière à peine voilée de retombées électorales.
#Investigation a également recueilli le témoignage d’un mandataire politique se disant menacé par Mohamed Ameur. Lui aussi, préfère rester anonyme. « Je me suis exprimé sur le dossier du Sahara occidental. Dans les deux heures je recevais un appel de l’ambassadeur qui me demandait pourquoi je m’intéressais à ce sujet. Il m’a menacé de manière à peine voilée de retombées électorales « . À ces accusations, Stanislas Eskenazi déclare sans détour : « Il ment. Pourquoi ce mandataire ne s’est pas plaint auprès du SPF Affaires Étrangères ? À ma connaissance, il n’existe aucune plainte à l’encontre de M. Ameur ».

Recontacté, le mandataire politique réitère ses propos. Et ajoute : « Je préfère ne pas rendre cela public. Je ne veux pas me mettre à dos l’ambassadeur du Maroc ».

Associations « soutenues » par l’ambassade du Maroc
Pour diffuser sa vision sur le Sahara occidental à l’étranger, le Maroc s’appuierait aussi sur un réseau associatif. « Regardez le nombre important d’associations européennes qui sont financées par le Maroc ou ses ambassades, nous conseille le journaliste espagnol Ignacio Cembrero. Vous découvrirez que beaucoup ont comme objectif de défendre la politique du Maroc au Sahara occidental. Même si souvent, ce n’est pas le but avoué « .

Ignacio Cembrero est l’ancien correspondant au Maghreb du journal espagnol El País © RTBF #Investigation

« Les Amis du Maroc »
Le 15 mars 2023, l’hôtel de Ville de Bruxelles accueille une conférence organisée par une asbl appelée Les Amis du Maroc. Une soirée qui met en avant les avancées du royaume chérifien en termes de droits des femmes. #Investigation n’a pas reçu l’autorisation d’entrer dans la salle gothique où se déroule l’évènement. La soirée est organisée par un ancien sénateur, le baron Francis Delpérée (Les Engagés) et par Mohamed Ameur, l’ambassadeur du Maroc auprès de la Belgique et du Luxembourg, en fonction depuis 2016.

Parmi les 400 participants, des citoyens d’origine marocaine, des diplomates, des universitaires et des personnalités politiques. Notamment Simone Susskind, ancienne sénatrice et députée bruxelloise socialiste. Ce soir-là, la militante pour les droits des femmes est présente en tant qu’oratrice. « C’est l’ambassadeur qui m’a invitée », nous précise-t-elle. « Je ne pense pas que M. Delpérée ait pensé à moi. Nous ne nous connaissons pas ».

Pour le Maroc, l’image est très importante.
Simone Susskind
Comment interpréter la présence de Simone Susskind à ce genre de conférence ? « Je pense que je suis assez indiscutable comme activiste pour les droits des femmes et pour la paix au Moyen-Orient. En plus de ça, il y a le fait que je sois juive. Cela a participé à l’image de cette soirée. Pour le Maroc, l’image est très importante ».

Les soirées des « Amis du Maroc » dans une publication du magazine Paris Match © RTBF #Investigation

L’asbl Les amis du Maroc organise des colloques et des conférences qui mettent en avant les avancées du royaume. Vantant notamment le plan d’autonomie proposé par le Maroc au Sahara occidental. Les thèmes semblent choisis avec soin, tout comme les invités. Hommes et femmes politiques, diplomates, avocats, chefs d’entreprise, patrons de médias. Ces évènements prennent place dans des lieux prestigieux : l’hôtel de Ville de Bruxelles, le Palais des académies ou le très sélect Cercle Gaulois. Qui paye ? Renseignements pris, nous apprenons que c’est l’ambassadeur du Maroc qui met souvent la main au portefeuille. « L’ambassadeur du Maroc est l’un nos membres. Il a le droit d’utiliser nos salons. Il paye la location et les services », déclare la direction du Cercle Gaulois. « Il a payé les frais de restauration lors de la soirée des Amis du Maroc, le 15 mars dernier « , précise-t-on du côté de la Ville de Bruxelles.

Delpérée, Ameur : refus d’interviews
Nous récupérons les documents d’enregistrement de l’association au greffe du tribunal de commerce de Bruxelles. Dedans ? Un passage intéressant consacré aux buts poursuivis par l’association :
L’objet de l’association vise à encourager une solution politique négociée dans le dossier du Sahara.
Comprenez Sahara occidental. Autre élément, une liste de membres fondateurs (visible publiquement sur Internet) et une liste de membres adhérents (uniquement accessible au greffe). Conclusion : Les Amis du Maroc sont plutôt nombreux… Deux barons, un avocat, des chefs d’entreprise, une journaliste, mais aussi des personnages publics. Le député MR David Weytsman (qui déclare avoir récemment quitté l’asbl), le député wallon PS Philippe Courard (qui refuse de s’exprimer sur le sujet) ou encore le président du Parlement de Wallonie, André Frédéric (qui précise n’avoir jamais eu connaissance de sa présence au sein de l’asbl).

Dans la colonne des membres adhérents se trouve l’ambassade du Maroc en Belgique et au Luxembourg.


La composition de l’ASBL « Les Amis du Maroc » © RTBF #Investigation

Résumons. L’asbl Les Amis du Maroc, présidée par le baron Francis Delpérée, organise des évènements mondains. Elle diffuse une image flatteuse du pays du roi Mohamed VI, parmi les élites belges, notamment politiques. Une sorte d’outil de communication soutenu par l’Ambassade du Maroc. Tout est légal et semble correspondre aux missions classiques d’une ambassade.

Pourtant, personne ne veut s’exprimer sur le sujet. Francis Delpérée a refusé de répondre à nos questions. Idem pour Mohamed Ameur… Jusqu’à cette interview accordée par son avocat, Stanislas Eskenazi. Il minimise le rôle de l’ambassadeur au sein de l’association. « Les Amis du Maroc ont pour but de promouvoir les relations entre le Maroc et la Belgique. Il semble évident que l’ambassadeur, que je représente, soutienne cette asbl. Pas par des fonds. Il lui arrive de financer la location des salles. Il s’agit de personnes qui témoignent de leur amour vis-à-vis du Maroc. Le Maroc leur rend cet amour en permettant l’organisation d’évènements ». RTBF

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