Nasser Bourita, ministre des affaires étrangères du Maroc

Le chef de la diplomatie marocaine Nasser Bourita a mis fin aux contrats des agences de relations publiques pilotées par JPC Strategies, proches des milieux républicains. Mais il n’en a pas encore désigné de nouvelles, plus compatibles avec l’administration Biden.

L’arrivée au pouvoir des démocrates à Washington pousse le chef de la diplomatie marocaine, Nasser Bourita, à revoir sa stratégie d’influence aux Etats-Unis. Le 17 février, le cabinet JPC Strategies, qui coordonnait depuis janvier 2018 le travail de tous les lobbyistes du Maroc aux Etats-Unis (Africa Intelligence du 25/01/18), a signalé la fin de son contrat le liant à Rabat au registre du Foreign Agents Registration Act (FARA) américain, qui recense les agents d’influence étrangers.

Cette fin de bail est directement liée au changement d’administration. Le patron de JPC, James Christoferson, est proche du Parti républicain : il a travaillé aux côtés du sénateur du Texas Ted Cruz. Par ricochet, les autres lobbyistes à qui JPC Strategies sous-traitait une partie de ses activités ont, eux aussi, cessé leur collaboration avec le Maroc : Neale Creek, dirigé par Andrew Young (ancien assistant du sénateur républicain Lindsey Graham) ; SGR, lié à Michael T. Flynn, ex-conseiller de Donald Trump ; Iron Bridge Strategies, dirigé par Chris Berardini, soutien affirmé de l’ancien président américain, etc.

Richard Smotkin en sursis

Le seul survivant – pour l’instant – de ce grand nettoyage est Richard Smotkin, dont la société ThirdCircle avait été recrutée en 2018 directement par l’ambassadrice marocaine à Washington, Lalla Joumala Alaoui, cousine de Mohammed VI. Mandaté initialement pour « vendre » le Maroc comme lieu de tournage de fictions (Africa Intelligence du 19/04/18), Richard Smotkin avait défrayé la chronique en se mettant au service de l’industrie gazière américaine dans le royaume. Il avait ainsi accompagné la visite à Rabat de Scott Pruitt, climatosceptique nommé par Trump à la tête de l’Environmental Protection Agency (EPA), qui visait à défendre les exportations de gaz naturel liquéfié (GNL) américain dans le cadre du programme gas-to-power marocain. Cette polémique ne l’a pas empêché d’empocher plus d’un million de dollars d’honoraires du Maroc entre 2019 et 2020.

Quels démocrates feront leur come-back ?

Recruté en mai 2020 pour garder une porte d’entrée chez les démocrates et anticiper une défaite de Trump, Glover Park a, lui aussi, vu son contrat prendre fin, puisqu’il était sous-traitant de JPC. Mais la firme fondée par Joel Johnson, ancien conseiller de Bill Clinton, pourrait à nouveau être sollicitée par Rabat. Liz Allen, managing director de Glover Park et l’une des huit associées de Finsbury Glover Hering, entité née en janvier du rapprochement entre Glover Park et deux autres agences de relations publiques, est l’ex-chargée de communication de Joe Biden lorsqu’il était vice-président.

En revanche, les plus vieux amis démocrates du royaume à Washington risquent d’avoir davantage de mal à profiter du changement d’administration. Ancien ambassadeur américain à Rabat, Edward Gabriel a coordonné pendant près de deux décennies le lobbying aux Etats-Unis à travers le Moroccan American Center for Policy (MACP). Nasser Bourita avait débranché ce réseau en 2018 après la victoire de Trump, mais aussi en raison de résultats jugés insuffisants sous l’ère Obama. Le MACP existe toujours et continue de publier les analyses de ses membres (Robert M. Holley, Jean AbiNader…). Mais ce cénacle n’a pas vu venir la normalisation des relations entre le Maroc et Israël, en décembre, ni la reconnaissance américaine de la « marocanité » du Sahara occidental, que Rabat a obtenue en contrepartie.

Le Sahara, mère de toutes les batailles

Or, la « cause nationale » du Sahara va rester la priorité de la diplomatie marocaine à Washington. Si la Maison blanche et le secrétaire d’Etat, Anthony Blinken, se sont réjouis du rapprochement avec leur allié israélien, ils ne se sont pas prononcés sur le volet sahraoui de l’accord, tandis que les soutiens américains du Polisario mettent la pression sur la nouvelle administration. Le 17 février, un groupe bipartisan de 27 sénateurs menés par le républicain James Inhofe et le démocrate Patrick Leahy, soutiens actifs de la « cause sahraouie », ont écrit au nouveau président pour l’enjoindre de revenir sur l’executive order de Trump proclamant la « marocanité » du Sahara. Même Robert Malley, ex-patron d’International Crisis Group (ICG) nommé envoyé spécial pour l’Iran par Joe Biden, est aussi très critique envers le « deal » trumpien.

L’OCP, seul au front

La remise à plat du lobbying marocain aux Etats-Unis ne concerne pas l’armada de cabinets engagés par l’OCP (Office chérifien des phosphates) afin de contrer l’enquête du Department of Commerce pour “distorsion de concurrence”, lancée après une plainte de son concurrent américain Mosaic. Son prestataire historique Covington & Burling est à nouveau à la manœuvre depuis octobre 2020. Le groupe avait vu son contrat brutalement interrompu en 2015 après la révélation du don de plus d’un million de dollars de l’OCP à la Clinton Foundation en pleine campagne présidentielle de Hillary Clinton, elle-même très soutenue par l’associé de Covington en charge du dossier marocain, Stuart Eizenstat.

Les firmes de lobbying The Cornerstone Group et CCO Communications travaillent aussi pour l’OCP, tout comme le cabinet de gestion de réputation FleishmanHillard. Le Department of Commerce a conclu le 9 février à la nécessité d’accroître substantiellement les taxes sur les phosphates marocains. La bataille s’est désormais déportée vers l’International Trade Commission (ITC) à qui reviendra la décision finale. L’OCP a obtenu le 17 février le soutien de puissantes organisations d’agriculteurs, dont l’American Soybean Association, la National Corn Growers Association et le National Cotton Council of America, qui ont écrit à l’ITC pour souligner qu’une hausse de ces taxes aurait un impact négatif sur la production agricole.

Africaintelligence.fr

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