Ce livre est une preuve évidente qu’on est loin de tout savoir sur Charles de Gaulle! Il s’agit d’un ouvrage vraiment surprenant qui est le fruit d’une coopération entre la Fondation Charles de Gaulle, le ministre des Armées et les éditions du Nouveau monde. « De Gaulle inattendu », présenté par Julian Jackson sous la direction de Yannick Dehée et Catherine Trouiller avec une postface de Hervé Gaymard n’est pas un ouvrage de plus sur de Gaulle. C’est un beau livre qui a le mérite d’une vraie richesse iconographique avec des images rares et inédites. l’ouvrage est aussi truffé d’anecdotes et de documents forts parfois oubliés et qui éclairent la personnalité du Général.
On apprécie dès le premier chapitre cette rencontre incongrue entre Jacques Lecompte-Boinet, figure de CDLR et de Gaulle. C’est insolite mais Julian Jackson le fait sciemment pour donner d’entrée un ton à cet album dont les auteurs argumentent avec de solides archives et des citations précises. Des instantanés pourtant soigneusement conservés, des écrits riches classés mais inexploités se retrouvent en bonne place au fil des pages. La première partie du livre est consacrée à la, carrière militaire. On par Frédéric Guelton apprend que son père a fait pour Charles une demande de bourse sans trousseau, rappelant qu’il effectue avant son entrée à l’Ecole spéciale militaire de Saint-Cyr, une année de service militaire au 33e RI d’Arras. Le même auteur met au jour la notation de Charles de Gaulle à Saint-Cyr. Avant de présenter le parcours du capitaine entré 33e à l’École supérieure de guerre mais sorti 52e sur 129, ce qui est très moyen sans doute parce que son audace et ses aptitudes dérangent puisqu’il s’écarte des sentiers battus dès qu’il le juge utile. Frédéric Guelton toujours revient sur le séjour un rien oublié du capitaine de Gaulle en Pologne en 1919 et 1920 avec de précieux apports du journal qu’il tient alors.
En 2020, ceux qui ne connaissent pas les convenance du début du XXe siècle peuvent être surpris par cette communication de Frédérique Neau-Dufour qui rapporte l’enquête de moralité sur la jeune fiancée de Charles de Gaulle, Yvonne Vendroux. Étonnantes aussi ces notes pour un portrait du maréchal Pétain que Bénédicte Vergez-Chaignon remet en perspective. C’est très éclairant.
Le temps passe vite et l’on déjà dans la deuxième partie de l’ouvrage au 20 juin 1940 avec François Broche qui évoque un de Gaulle qui pourrait regagner la métropole. Il faudrait être un peu naïf pour y croire. On ne peut qu’être interpellé par ce chapitre consacré à de Gaulle héros de bande dessinée de propagande. Yannick Dehée montre une guerre de l’image qui discrédite l’ennemi en encense les Alliés. Entre information et désinformation, il y a l’opinion. On y ajoute cette double page sur de Gaulle vu par le dessinateur Jean-Yves Ferri. On est ensuite interdit mais séduit par un plan auquel on ne s’attend pas. Une lettre de Georges Mandel au Général, décryptée par Jean-Noël Jeanneney ou encore cette lettre de Geneviève de Gaulle qui sera déportée au camp de concentration de Ravensbruck à son oncle le 6 mai 1943. On revient sur le de Gaulle à Londres, avec une sélection de clichés soignés mais qui, pour la plupart ne sont pas posés.
La troisième partie est réservée à ce qu’on a nommé la traversée du désert. On y apprend beaucoup d’entrée sur le rôle d’Yvonne de Gaulle dans le couple qui n’a rien d’anecdotique comme cela a été longtemps véhiculé par des clichés commodes. On constate aussi l’intérêt du dialogue au début des années 1950 entre le Général et Georges Pompidou sur la nécessité de continuer ou de cesser le combat politique. C’est aussi la révélation de certaines incompréhensions, comme celle dont Paul Claudel s’ouvre et à laquelle de Gaulle ne manque pas de répondre avec hauteur et sincérité. On aborde Colombey-les-Deux-Eglises par le drame du départ de la petite Anne. Frédéric Neau-Dufour explique la déchirure, la pudeur et le sens donné à ce deuil. « Dieu avait besoin de cette âme pour mieux protéger le Général », écrit Yvonne à la révérende-mère qui dirige la Fondation de Gaulle pour les jeunes filles handicapées, le 15 février 1948, tandis que Charles de Gaulle qui cherche aussi dans la mort de sa fille cadette une forme de justice mentionne : » Maintenant, elle est comme les autres ».
La quatrième partie est consacrée à la République gaullienne. C’est encore la surprise puisque cette séquence s’ouvre sur un article de PIerre Vermeren qui explique comme Georges Pompidou a été un émissaire secret à Genève auprès du FLN et consacre plus tard un article sur la confession secrète du roi Hassan II du Maroc et l’affaire Ben Barka. Il y a beaucoup de document alignés et expliqués concernant la guerre d’Algérie et sa fin. Le chapitre sur la loyauté de Michel Debré n’est pas accessoire pas plus que celui sur la relation entre le Général et le président américain Dwight Eisenhower où on évoque les impolitesses et les outrances d’un Nikita Khrouchtchev. On apprend aussi comment entre la France et l’administration de Kennedy les tensions se multiplient alors que le Général continue de jouer un rôle important sur la scène internationale.
Nicolas Even consacre son étude à Joséphine Baker, éternelle agente du général de Gaulle. On aurait l’insérer à un autre moment parce que la Guerre est passée par là. En revanche, le coup de sang du Général pour le cinquantième anniversaire de la bataille de Vimy qualifié de prémisse méconnue du Québec libre sera pour beaucoup un découverte relatée par Laurent Veyssière.
La cinquième partie est réservée au de Gaulle intime. Avec ces échanges rapportés entre le Général et l’abbé Pierre par Frédéric Douat, le général et paparazzo, l’opération secrète de la prostate à l’hôpital Cochin, le rapport du général avec le cinéma et la publication d’une lettre d’Alain Delon, les derniers jours à l’Élysée…
Hervé Gaymard, président de la Fondation Charles de Gaulle conclut ainsi ce livre puissant : « Décidément, le continent de Gaulle est encore à explorer. Et ce beau livre est un guide utile, souvent insolite, qui nous permet de mieux comprendre la traversée de son siècle par un homme hors du commun, dont le comportement et les lignes de force nous aident à mieux éclairer le nôtre ».
L’Histoire en rafale
De Gaulle inattendu archives et témoignages inédits présentés par Julian Jackson, 320 p., 34,90 euros.